Chapitre XIII : Philippe Ariès, une démarche atypique à la Nation française ? (2024)

1Philippe Ariès établit une relation de plus en plus passionnelle avec le chef de l’État. Abordant la question douloureuse des rapports du gaullisme et de la droite nationale, il constate que la politique algérienne du Général a réussi à ébranler des liens d’amitié très forts: «Nous étions jadis quelques amis du temps des écoles, si complices que l’on pouvait continuer la pensée de l’autre.»1 Jusqu’au bout de l’aventure de la Nation française, Philippe Ariès feint de croire que l’innocence des amitiés de jadis perdure sous la forme d’une «fraternité secrète» qui transcende les insultes et les sournoiseries. Fidèle à sa foi militante dans une enfance rédemptrice, il évoque, le 18 septembre 1963, dans une «Une fraternité secrète», les souvenirs de la «vieille maison», ou la «communauté de formation» dans laquelle «quelques uns d’entre <eux> furent élevés»2. Philippe Ariès procède à une sorte de repli sur l’enfance et la famille qui, échappant aux souillures de la société, assument seules la fonction de cet âge d’or: «Les hommes qui n’ont pas fermé leur cœur aux voix de leur enfance et de leur parenté, qui les écoutent encore, souvent à leur insu, à l’heure des grands choix, peuvent s’ignorer et se déchirer: ils appartiennent malgré eux à une même famille.»3 L’importance accordée par Philippe Ariès à l’enfance, qui était déjà en germe dans Le Temps de l’Histoire (1954), ne cesse désormais de prendre de l’ampleur, au point de devenir la référence essentielle dans son parcours intellectuel4.

2Ce drame de l’amitié explique la surenchère de Philippe Ariès dans ses prises de positions en faveur de ses amis d’Esprit Public et de l’OAS alors que, dans le même temps, il ne peut se résigner à condamner totalement l’œuvre de restauration de l’État entreprise par le général de Gaulle. Après avoir professé ce qu’Emmanuel Le Roy Ladurie a appelé, en1997, dans un compte rendu sur le Présent Quotidien, un «antigaullisme morbide»5, Philippe Ariès adopta une position plus nuancée à partir de1963. Dans «Examen d’un régime», il procède à une sorte de bilan de son rapport personnel avec de Gaulle, tout en faisant de celui-ci un maurrassien: «Pas plus maurrassien, toutefois, que l’opinion générale, qui le soutient par dégoût de la démocratie parlementaire et du régime des partis.»6 Cette transformation du chef de l’État en catalyseur des aspirations antidémocratiques amène Philippe Ariès à conclure que désormais triomphent les idées «que nous avons défendues depuis cent cinquante ans, de défaite en défaite.» «Elles triomphent aujourd’hui, mais contre nous.»7 Pour l’historien René Rémond, la thèse sur les origines maurrassiennes du gaullisme est un «lieu commun» qui se heurte à l’adhésion du Général au suffrage universel8. Elle revient de façon récurrente dans l’historiographie de la droite royaliste.

3Tout en se réappropriant le général de Gaulle, Philippe Ariès analyse la signification de l’intransigeance systématique et la manière forte du chef de l’État qui a réintroduit dans la société, selon lui, les vieux démons de la violence, ceux-là même qu’à force d’efforts, les hommes d’État et de robe sous l’Ancien Régime étaient parvenus à civiliser au XVIIesiècle. Évoquant l’exécution du colonel Bastien-Thiry, responsable de l’attentat du Petit-Clamart (22 août 1962) auquel le Chef de l’État avait échappé de justesse, il dresse, encore sous le coup de l’émotion, ce constat amer: «Quel durcissem*nt de notre âme que ces deux sanglantes épurations en moins de vingt ans!»9.

4Progressivement l’historien et le sociologue, attentifs aux évolutions de la société, reprennent le dessus sur le polémiste. La principale leçon qu’il tire du conflit algérien, dans un article intitulé «Le retour à la vie privée», est que l’idée de devoir s’est évanouie entraînant avec elle toutes les valeurs collectives10. Le général de Gaulle et son régime accompagnent dans la douleur cette mutation d’une société qui renonce donc à toute forme d’héroïsme, se repliant sur la vie privée, laquelle conduit l’individu à abandonner toute responsabilité aux fameux «spécialistes» que Philippe Ariès tient en horreur. Dans cet article qui développe un thème cher à l’historien, Philippe Ariès rappelle qu’il a déjà décrit un aspect de cette évolution, à savoir l’individualisation de la vie privée, dans son livre L’Enfant et la Vie familiale sous l’Ancien régime (1960). Il annonce l’Histoire de la vie privée qu’il coordonna avec Georges Duby et montre à quel point ses centres d’intérêts d’historien ont été imposés par son expérience personnelle.

5C’est au nom de la réconciliation qu’il milite, comme au temps de Paroles françaises, en faveur de l’amnistie et du pardon, dans une perspective chrétienne. Au milieu de l’année1962, il en avait appelé au plus fort des attentats, à «la trêve de Dieu», qui aujourd’hui s’appelle «l’amnistie»11. Un an plus tard, si la guerre civile, qui a conduit l’armée française à ouvrir le feu sur des Français à Alger ou à Oran, «couve toujours dans les coeurs», Philippe Ariès réclame le pardon: «Nous garderons la mémoire des partisans abattus, des faubourgs nettoyés, des cités assiégées, d’un peuple jeté nu, condamné au désespoir. Nous n’oublierons pas. Mais il doit être possible que nous apprenions à ne plus haïr, […]»12. Ce combat pour l’amnistie touche d’autant plus Philippe Ariès qu’il fut particulièrement sensible au sort réservé aux populations européennes lesquelles, dans le cadre d’associations de rapatriés, furent à l’avant-garde de la lutte13.

6Après sa campagne en faveur de l’amnistie qui s’achève fin 1964, Philippe Ariès n’écrivit plus que huit articles pour la Nation française dans laquelle il avait fondé tant d’espoirs. Or, lui qui a donné son adhésion au régime politique de la Ve République, estimant même qu’il incarne le triomphe des idées défendues par la droite traditionaliste depuis cent cinquante ans, persiste dans sa critique de l’État. Comment interpréter, dans ces conditions, son soutien à partir de1958 au général de Gaulle, puis son antigaullisme et enfin, cette sorte d’éloge teinté de dépit d’un Chef de l’État, qui serait maurrassien malgré lui? D’autant que ce soutien ne se concrétisa pas dans les urnes. Le 2 avril 1964, dans «Le devoir des royalistes», il avoue lors des cantonales avoir «aidé sans remords, écrit-il, au triomphe du candidat communiste sur son rival gaulliste UNR»14 (Union pour la nouvelle République), et cela alors qu’il ne vote pas en général ou alors blanc. Sa fidélité au Comte de Paris et sa volonté, quoi qu’il en coûte, de faire durer la Nation française pour éviter la marginalisation de l’extrême droite, apportent quelques éléments d’explication qui permettent de relativiser ce qui ne fut sans doute qu’un ralliement de circonstance.

7Philippe Ariès, qui depuis son enfance, a le culte des rois de France manifesta son attachement à la Maison de France jusqu’à la fin de sa vie, comme en témoigne un entretien avec Pierre Lambot pour la revue Je Suis français publié après sa mort15. À la Nation française, hebdomadaire monarchiste qui suit les consignes données par le Bulletin mensuel d’information du bureau politique de Mgr le Comte de Paris16, Philippe Ariès qui fut proche des réseaux du Prétendant, dans l’après-guerre, au moment de sa collaboration à la revue Fédération, manifeste avec passion sa fidélité à la famille royale. La mort au combat du fils du Comte de Paris, François de France, le 11 octobre 1960, engagé en Algérie dans un commando de chasse, illustre ce sentiment: «Nous partageons, écrit Philippe Ariès, cette peine, mais nous éprouvons aussi une grande fierté devant ce témoignage si pur, si incontestable de la vigueur et de la noblesse des fleurs de lys.»17 Il souhaite que les Français puiseront dans ce «sacrifice» exemplaire du fils du Comte de Paris, un regain de lucidité et de courage: «Puisse ce sang pur conjurer les haines qui risquent de nous déchirer!»18 À la veille de la scission qui va frapper la Nation française, au mois de décembre, avec la création d’Esprit Public, Philippe Ariès qui pressent les déchirures à venir appelle à la rescousse la figure du prince, comme si cette fidélité pouvait constituer, au-delà des querelles sur l’Algérie, un terrain d’entente. Cette mort ouvre de nouvelles perspectives pour le renouveau du sentiment monarchique en France: «[…] est-il indiscret ou sacrilège de reconnaître dans ce sacrifice l’acte qui renouvelle l’union de la France et de ses princes retrouvés?»19 Un an plus tard, lors du plasticage de la résidence de la famille royale à Louveciennes, Philippe Ariès dit son horreur devant un tel acte qu’il juge sacrilège et sa tristesse car la mémoire du Prince François, mort au combat en Algérie, n’a pas arrêté la folie meurtrière. L’historien est blessé. Évoquant son entourage peuplé de nationalistes qu’il qualifie «d’effervescents», Philippe Ariès écrit: «Combien de fois, depuis des mois, ai-je été blessé par leurs sarcasmes, leurs moqueries, qui visaient le Prince?»20

8Le dépit exprimé par Philippe Ariès à l’égard de certains de ses proches est indissociable de la position de la Nation française telle qu’elle est définie chaque semaine par Pierre Boutang. Les nationalistes effervescents qui reprochent à l’hebdomadaire son soutien à de Gaulle l’acceptent d’autant moins que ce soutien est dicté, à leurs yeux, par les positions du Comte de Paris qui espère être associé par le Chef de l’État à une restauration21. L’hebdomadaire monarchiste rend régulièrement compte des communiqués publiés dans le Bulletin du Prince soit en les reproduisant intégralement, soit en les commentant, tâche remplie avec zèle par Pierre Boutang dans son éditorial qui tend à devenir le porte-parole du Comte de Paris. Si au départ, ce dernier souhaitait que l’Algérie restât française, sa position suit celle du Général de Gaulle dont il s’est rapproché depuis 195422, ce que ne manque pas de souligner Jean Bourdier dans son essai critique sur le Prince qui insiste sur les contorsions verbales de Pierre Boutang23. La publication de l’essai de Jean Bourdier24 préfacé par Philippe Méry alias Raoul Girardet, en1965, alors que le conflit algérien s’éloigne, traduit la persistance de rancunes tenaces chez les partisans de l’Algérie française à l’égard de la personne du Comte de Paris. Publié aux très antigaullistes éditions La Table Ronde qui viennent alors de faire paraître le pamphlet de Jacques Laurent, proche d’Esprit Public, Mauriac sous de Gaulle25 (1964), l’ouvrage est proposé dans la collection «L’Histoire contemporaine revue et corrigée» dirigée par Gabriel Jeantet et Jacques Laurent. Celui-ci y a d’ailleurs publié, en collaboration avec Gabriel Jeantet, Année 40. Londres, de Gaulle, Vichy (1965) qui tend à présenter le chef de la France libre comme un diviseur spécialisé dans le triomphe intestin. L’essai de Jean Bourdier relève davantage du règlement de comptes, au sein de la droite monarchiste et maurrassienne, que d’un pamphlet contre le Chef de l’État, même si celui-ci n’est pas ménagé. Jean Bourdier insiste longuement sur l’attitude du Comte de Paris à Alger, en1942-1943, au moment de l’assassinat de l’amiral Darlan. L’échec du Prétendant permet de mettre en cause l’attitude de Pierre Boutang alors lié aux réseaux du Comte de Paris, et de présenter celui-ci comme un «caméléon» manipulé par les Gaullistes26. Pour l’auteur de l’ouvrage, qui nous livre le point de vue des anciens collaborateurs de la Nation française partis fonder Esprit Public et de façon générale l’opinion des partisans maurrassiens de l’Algérie française, en recherchant à leurs dépens la complicité des Gaullistes à Alger, les partisans du Comte de Paris ont compromis leur chance de participer à une quelconque tentative de restauration27. C’est à l’aune de cette alliance contre-nature et de son épilogue que l’ouvrage de Jean Bourdier analyse les relations du Prétendant et du général de Gaulle à partir de1954, la thèse étant que le second a toujours manipulé le premier.

9Exaspérés et déçus de n’avoir pu s’opposer à la perte de l’Algérie, l’équipe d’Esprit Public cherche à désigner les complices de la politique du Chef de l’État et les coupables. L’hebdomadaire monarchiste rallié à de Gaulle aurait influencé certains officiers d’Alger abonnés au moment du putsch qui seraient alors devenus hésitants sur la conduite à adopter. Pour François Léger, ancien collaborateur d’Esprit Public, il ne fait aucun doute que l’équipe de la Nation française, en diffusant ce qu’il estime être des positions défaitistes, est en partie responsable de l’échec du putsch des Généraux (avril 1961)28. Cette thèse du rôle modérateur qu’aurait pu jouer la Nation française, auprès d’un public monarchiste favorable à l’Algérie française, est aussi celle de Gilbert Comte: «En1960 par exemple, les capitaines, commandants et colonels royalistes d’Alger refusèrent leur aide aux mutins, pendant la fameuse semaine des barricades.»29 Si le nombre d’officiers susceptibles d’avoir prêté une oreille attentive à la Nation française est sans doute infime, c’est certainement le seul moment du conflit où l’hebdomadaire de Pierre Boutang a pu peser sur le cours des événements.

10Le point de vue de Gilbert Comte est d’autant plus intéressant qu’il n’appartient pas au camp des jusqu’aux boutistes, étant resté fidèle à la Nation française. Il a donc accepté les conditions du ralliement à de Gaulle dont il contribua à forger la thèse du maurrassien malgré lui30 que Philippe Ariès reprit dans «Examen d’un régime», le 2 janvier 1963. Il y avait de toute évidence à la Nation française, chez certains, une volonté d’incarner, au-delà des accès de fièvre, un point de vue modéré, afin de préserver cette tribune inespérée pour la droite traditionaliste que constituait l’hebdomadaire dirigé par Pierre Boutang. Celui-ci comme le lui reprocha Jean Bourdier joua cette carte et fut soutenu par des personnes comme Philippe Ariès et Gilbert Comte. Dans «A l’heure où les camps se retranchent», hommage à l’action de Pierre Boutang, Philippe Ariès, s’exprimant au nom de ceux qui restent à la Nation française, écrivait le 20 décembre 1961: «[…] nous cherchons seulement en tâtonnant à nous garder des tentations de notre temps […]» dont la «fureur des fanatiques» et le «défi, ou insolences des cyniques»31.

11Placé injustement en garde à vue, en janvier 1962, Gilbert Comte réagit dans une lettre à un article de soutien de Philippe Ariès publié dans la Nation française, «La scandaleuse «garde à vue» de Gilbert Comte», le 17 janvier 1962: «[…] les modérés de notre espèce, écrit Gilbert Comte, auront de plus en plus de mal à rester, sinon hors du combat, du moins à l’abri de ses passions, de ses sottises, de ses clameurs.»32 Gilbert Comte redoute que les «amateurs de déchirement» ne reprennent bientôt du service. Cette volonté qui anima un groupe de collaborateurs de la Nation françaises d’échapper à la logique de la violence et du fanatisme passa par ce ralliement à de Gaulle, seul moyen, selon eux, de sauver leur tribune.

12La question du rapport du général de Gaulle et des royalistes et avec l’extrême droite en général est indissociable du rôle joué par le Comte de Paris. Ce dernier a-t-il été utilisé par le Général comme un «cheval de Troie» afin d’obtenir le soutien de milieux monarchistes et maurrassiens qui lui sont a priori hostiles? Dans ces conditions, Philippe Ariès, en développant la thèse d’un de Gaulle maurrassien malgré lui, a-t-il contribué, volontairement ou non d’ailleurs, à jouer le jeu du chef de l’Etat?

13C’est en1954, que Charles de Gaulle, seul sur le plan politique dans le contexte de la longue agonie de la IVe République, rencontre le Comte de Paris avec lequel il échange des vues identiques sur l’impuissance du régime des partis33. Leur relation ne cessa qu’en1969, mais les échanges les plus importants se situent entre 1958 et 1962, le pic étant l’année1961. Plus que le détail de ces rencontres, il convient de s’intéresser à la façon dont elles furent utilisées aussi bien par les Gaullistes que par les partisans du Comte de Paris, chez ceux qui sont parvenus à accréditer l’idée qu’une restauration était envisageable quand visiblement de Gaulle n’a jamais pris cette option au sérieux. Edmond Michelet fut, d’après Pierre Boutang, l’un des principaux artisans de la rencontre entre de Gaulle et le Comte de Paris34. Futur ministre de la Justice, Edmond Michelet (1899-1970) avait été d’Action française jusqu’en1926 puis royaliste, situation nullement incompatible avec son gaullisme après-guerre qui était alors dirigé contre le «système». Commentant, lors de sa parution, la correspondance entre de Gaulle et le Comte de Paris, «fantastique dialogue», Pierre Boutang insiste à nouveau sur le rôle de médiateur d’Edmond Michelet qui le persuada de la conviction monarchiste de de Gaulle35. L’autre fidèle du Général qui joua, d’après Jean Bourdier, un rôle dans le rapprochement entre les milieux gaullistes et monarchistes est Michel Debré (1912-1996)36.

14Résistant, puis commissaire de la République en1944, il rallie dès sa création le Rassemblement du peuple français (RPF), avant de devenir garde des Sceaux (1958) et Premier ministre (1959-1962). Durant l’après-guerre, ce «Fouquier-Tinville de l’anti-système»37, selon les termes de Pierre Viansson-Ponté, fut l’un des porte-parole de la lutte contre la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), puis contre la Communauté européenne de défense (CED). Ce combat rapproche les opposants au «système» parmi lesquels certains gaullistes du RPF et les milieux de l’extrême droite, notamment monarchistes où le général de Gaulle bénéficie d’un préjugé plutôt favorable après le discours de Bayeux et son retrait des institutions38. Outre diverses manifestations contre le régime, Michel Debré participa notamment, le 19 février 1954, à une réunion sur le traité de la CED, organisée avec le concours de Pierre Boutang par le Comité d’action contre la CED, au sein de l’Institut de politique nationale, organisme de conférences des étudiants de l’Action française39. L’opposition au «système» se confondit bientôt avec la défense de l’Algérie française dont Michel Debré fut, au départ, un ultra, à l’origine notamment du fameux Courrier de la Colère qui rassembla quelques maurrassiens dont Raoul Girardet40. Michel Debré y mena de virulentes campagnes contre le gouvernement de la IVe République, dans la lignée de son pamphlet Ces Princes qui nous gouvernent (1957). Publié chez Plon, dans la collection «Tribune Libre», ce pamphlet eut une influence importante dans les milieux nationalistes et monarchistes. S’il n’est pas question, bien sûr, de faire de Michel Debré un maurrassien, ce témoignage du journaliste Claude Angeli nous éclaire sur la façon dont il était alors perçu: «Il y a du Maurras dans ce livre qui glorifie, vénère et sacralise le «pays réel» devant les maîtres provisoires du «pays légal», les usurpateurs.»41

15A l’issue d’un compte rendu sur Ces Princes qui nous gouvernent par André Figuéras dans Combat, Michel Debré envoya à ce dernier une lettre très intéressante, dans laquelle le futur Premier ministre de de Gaulle explique comment il concevait alors son rôle, dans cette période de transition et d’attente d’un nouveau régime: «[…] il faudra une occasion; une rupture, une épreuve manifeste aux yeux de tous, mais peut-être est-il bon avant cette occasion de préparer les esprits à la saisir, et en même temps de maintenir parmi les multiples courants qui traversent l’opinion politiquement pensante, un courant de patriotisme ardent, un peu aveugle, un peu sectaire parfois […]»42 Entretenir «un courant de patriotisme ardent», telle fut sans doute l’une des missions du Courrier de la Colère ainsi que de la Nation française à laquelle Michel Debré, devenu Premier ministre s’intéressa toujours de près. Pour la plupart des anciens de la Nation française partis fonder Esprit public, il ne fait aucun doute que l’hebdomadaire bénéficia d’une aide financière de Michel Debré et que cette aide se poursuivit bien au-delà de195843. Michel Debré cultiva dans le milieu de la Nation française des amitiés: Raoul Girardet, jusqu’en1960 et Pierre Boutang, tout le temps qu’il anima l’hebdomadaire monarchiste.

16Dans son article «A Michel Debré» du 27 septembre 1961, alors que Raoul Girardet est interné en raison de son activisme, Philippe Ariès met en avant l’amitié qui lia les deux hommes avant 1958: «Si je persiste à croire que vous entendrez ma voix, c’est bien parce que je me souviens toujours du portrait sympathique et vivant que Raoul Girardet m’a souvent fait de vous, bien avant le 13 mai, de votre personnalité, de votre honnêteté, de votre passion de la France.»44 Philippe Ariès rappelle d’ailleurs à Michel Debré qu’il avait été tenté d’introduire Raoul Girardet parmi les collaborateurs de son gouvernement comme «directeur de cabinet d’un de <ses> ministres». Si Philippe Ariès stigmatise l’entourage du ministre, les «misérables «spécialistes» de l’information des cabinets ministériels»45, qui serait à l’origine de la décision d’interner Raoul Girardet, il se garde toutefois de faire allusion au Courrier de la Colère. Le régime peut bien accepter un certain nombre de critiques dès lors que le journal finalement le soutient via les consignes du Comte de Paris.

17Il nous semble donc, même si cela mériterait d’être étayé par le croisem*nt d’autres sources par définition difficiles à obtenir, lorsqu’il s’agit de stratégies de récupération, que la Nation française – et c’est, de ce point de vue, la seule influence tangible qu’elle eut, compte tenu de son audience limitée – a permis de maintenir un «courant de patriotisme», pour reprendre l’expression de Michel Debré, dans les milieux monarchistes mais dans le cadre de la légalité. Ce courant de patriotisme, on l’a vu, avait l’avantage de n’être pas l’expression d’un seul courant. Avec Gabriel Marcel, Gustave Thibon, Philippe Ariès, Gilbert Comte ou Pierre Boutang qui représentent une ligne fidèle au Comte de Paris cohabitent des opposants au régime comme André Figuéras. S’il ne faut pas exagérer ce «gaullisme» de circonstance de la Nation française, qu’un Pierre Boutang cultivait toujours à la fin de sa vie comme une forme de réhabilitation46, il semble bien qu’il pesa lourdement dans les inimitiés qui divisèrent la «bande» de l’Etudiant français. De façon assez floue, Philippe Ariès qui était de plus en plus excédé par toute cette cuisine politique évoquait ainsi l’itinéraire de son ami, après la fin de l’hebdomadaire, en1967: «[…] une entente avec les puissances d’argent – de la publicité et des affaires – aurait moins aliéné sa liberté que les combinaisons politiques dont il rêvait, et qui ont d’ailleurs, heureusem*nt échoué.» «Il est donc tombé, mais assez habilement, ni à droite, ni à gauche, dans une banlieue gaulliste.»47 Il n’est pas impossible que son intégration dans l’université en196648, au moment où s’arrête la Nation française, alors que tout espoir de restauration du Comte de Paris a disparu, soit une forme de remerciement et de reconnaissance pour le soutien au régime politique pendant la guerre d’Algérie.

4-1) Entre impatience et fidélité

18Philippe Ariès ne s’est jamais perçu comme à part, au sein de l’équipe rédactionnelle, au nom d’une fidélité militante: «Fidélité reçue en héritage, plutôt que choix individuel et délibéré, elle s’établit à la jointure du social et du biologique.»49 La fidélité à laquelle il se soumet est l’expression d’un sentiment qui «traduit l’amour pieux des racines charnelles qui nous attachent à nos anciens, à nos pays, à nos enfances, à nos morts»50.

19Mais cela ne l’empêchait pas, comme le lui fait remarquer son ami Joseph Czapski, avec lequel il était en profond désaccord sur la ligne éditoriale de la Nation française, d’exprimer un ton différent. Dans une lettre de juillet 1962, le peintre polonais est heureux que Pierre Vidal-Naquet, dans un numéro d’Esprit du mois de mai, ait «senti la différence de ton» d’un article de Philippe Ariès, même si, ajoute-t-il, «il a dû vous faire de la peine parce que vous êtes avant tout solidaire avec vos amis»51. Philippe Ariès avait le goût du paradoxe et, comme le rappelle Joseph Czapski, savait faire preuve d’autodérision, grâce à son rire: «votre rire qui rend votre commerce possible et attachant». Joseph Czapski, qui se compare souvent à un «cactus», signale sans relâche à son ami, ce qu’il estime être les dérives de la Nation française. L’une de ses bêtes noires est le journaliste André Figuéras (1924-2002) dont il joint parfois des extraits de la prose à Philippe Ariès. Son caractère outrancier fait dire à un Joseph Czapski désespéré que Philippe Ariès est avec Pierre Boutang et André Figuéras et donc contre lui52.

20Cela n’empêche pas Philippe Ariès, en1964, de rédiger un véritable plaidoyer en faveur d’André Figuéras à l’occasion de la réédition de l’un de ses pamphlets Zoologie du Palais-Bourbon53 (Burnier, 1956) qui contribua à camper sa réputation de polémiste, en1956. Dans «Figuéras polémiste», le 5 février 1964, l’historien ne peut s’empêcher d’évoquer Joseph Czapski, l’ami qui, «le visage sombre, l’oeil en bataille» lui brandit la Nation française après la lecture d’André Figuéras: «Mais sa colère, écrit Philippe Ariès, ne l’empêchera pas, la semaine prochaine, d’aller tout droit à l’article de Figuéras, et de le déguster jusqu’à la lie, au risque d’une nouvelle crise.»54 Assez habilement, l’auteur de l’article donne le sentiment de ne pas toujours partager les outrances de son voisin de colonnes, avant de louer finalement son excès de talent: «[…] il faut bien céder, écrit-il, et on se retrouve à la chute, un peu meurtris, un peu penauds, demi-noyés, mais contents»55. Philippe Ariès estime d’ailleurs qu’André Figuéras, satiriste bouillant et injuste, est l’un des derniers pamphlétaires sauf quand François Mauriac daigne sortir ses griffes. L’historien dont la sensibilité a été forgée par la lecture de l’Action française de Charles Maurras et de Léon Daudet admire, en connaisseur, cette Zoologie du Palais Bourbon. Toujours est-il que Philippe Ariès pensait qu’il était possible de concilier la France de Czapski et celle de Figuéras «écorchée, tendue, ombrageuse […]»56.

3-2) Un historien honnête avec lui-même: le problème de la torture

21L’autre question épineuse qui divisa profondément les deux amis fut celle de la torture. Joseph Czapski harcèle presque Philippe Ariès sur ce sujet en stigmatisant son manque de curiosité. Il évoque ainsi la démission du général Pâris de la Bollardière57, conscient qu’un tel exemple peut toucher Philippe Ariès particulièrement sensible à tout ce qui intéresse l’armée. Ce général de brigade demanda, en effet, au mois de mars 1958, à être relevé de son commandement du secteur est de l’Atlas blidéen quand le général Massu, dont il dépendit à partir du mois de février 1957, fit savoir qu’il fallait accentuer l’effort policier contre le FLN58. La démission du général ne semble pas avoir ébranlé la conviction de Philippe Ariès dont Joseph Czapski s’efforce d’analyser l’attitude: «Je me demande si Ariès me cachait la vérité — ce qui serait compréhensible (un étranger; solidarité avec les amis de ceux qui torturent) ou si c’était une politique d’autruche, un aveuglement conscient. Cela c’est encore pire.»59 Joseph Czapski raisonne comme si Philippe Ariès savait et comme si, au nom des intérêts de son milieu politique, il se refusait à voir la réalité en face. Ainsi lui envoie-t-il une «Libre opinion» de Laurent Schwartz, président du comité Audin, parue dans le Monde60 dans laquelle l’auteur de l’article, fort d’un rapport de l’inspecteur général de l’administration M. R. Wuillaume61, adressé le 2 mars 1955 à M. Jacques Soustelle, alors gouverneur de l’Algérie, signalait que la torture était une pratique courante en Algérie, sous la responsabilité des commissaires et des officiers de police. Mathématicien, Laurent Schwartz (1915-2002) participa au «Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord». Il défendit également la mémoire de Maurice Audin, assistant à la faculté des sciences d’Alger, arrêté le 11 juin 1957 par les parachutistes du 1er RCP et qui disparut, victime des sévices qu’il subit alors. Laurent Schwartz et Pierre Vidal-Naquet entreprirent de révéler les circonstances de la disparition du militant anticolonialiste dans le cadre du «Comité Audin»62. Le rapport Wuillaume qui constitue, aux yeux de Joseph Czapski, une preuve irréfutable de la torture, le conduit à questionner son ami sur ce chapitre: «Quand je vous en parlais vous me disiez n’en rien savoir, vous l’avez nié. Est-ce que cela, ajoute-t-il, n’exigeait pas de vous une volonté de ne rien savoir?»63. Joseph Czapski a probablement contribué à faire évoluer Philippe Ariès sur la torture. Peu après «La Lettre d’un métèque» et alors que l’historien s’est lancé dans un soutien inconditionnel à ses amis de l’OAS, il se livre à un véritable mea culpa, le 31 janvier 1962: «J’avais donc tendance à nier les actes d’arbitraire ou de torture, exploités par cette propagande. Le jour où il ne fut plus possible de les nier, je cherchai à les excuser.»64 Son évolution, qui est liée à la réaction à chaud à l’internement de son ami Gilbert Comte, s’inscrit toujours dans sa critique de l’État. En mai 1962, dans Esprit, Pierre Vidal-Naquet (1930-2006), très engagé dans le combat contre la torture, réagit à l’article de Philippe Ariès, expliquant qu’il ne voudrait pas être injuste envers tous les hommes de droite: «certains ont pu faire leur autocritique et reconnaître, comme l’a fait Philippe Ariès dans la Nation française, qu’ils s’étaient trompés dans leur jugement sur la campagne contre la torture.»65 Cette remarque de Pierre Vidal-Naquet fut précieuse pour Philippe Ariès. Le dossier sur la torture dans la caserne des Tagarins qu’il présenta dans la Nation française du 7 mars 1962, entraîna la saisie de l’hebdomadaire et une inculpation pour son auteur. C’est grâce au numéro d’Esprit de mai 1962, dans lequel Pierre Vidal-Naquet revenait sur ce cas de torture de sympathisants de l’OAS, que Philippe Ariès a, estime-t-il, bénéficié d’un non-lieu66.

22Dans ses mémoires, Pierre Vidal-Naquet qui revient sur cet épisode de tortures, écrit à propos du collaborateur de la Nation française: «L’historien Philippe Ariès fut alors un des seuls à constater que l’émotion soudain exprimée par certains succédait à leur indifférence d’hier.»67 L’évolution de Philippe Ariès sur la question de la torture n’est pas une volte-face. Dans une lettre non datée à Joseph Czapski et difficile à situer, probablement écrite en réponse à la «Lettre d’un métèque», l’historien, qui dit détester la torture, explique à quel point il est convaincu que les officiers dans leur majorité sont «incapables de tortures»68. Il admet que certaines accusations de torture ne doivent pas être infondées «pour justifier cette énorme propagande qui entraîne, je le vois, tant d’hommes de bonne foi»69. Il reconnaît le cas Audin, le seul avéré selon lui. Mais fondamentalement, ce qui gêne Philippe Ariès, dans ce débat, est l’exploitation qu’en font notamment «les intellectuels catholiques», comme un «argument de propagande» et de façon générale comme «une machine de guerre contre l’armée». En ce sens, la position de Philippe Ariès sur la torture, jusqu’au début de l’année1962, est très proche de celle de son ami Pierre Boutang qui l’avait exposée dans un pamphlet intitulé La Terreur en question, lettre à Gabriel Marcel, (1958). Ce libelle se veut une riposte à la campagne des intellectuels sur la torture qui, estime l’auteur, vise à déshonorer l’armée. Ses cibles sont l’ouvrage sur la torture d’Henri Alleg, La Question (1958) ou Laurent Schwartz.

23Est-ce faire preuve d’un nationalisme excessif, s’interroge Philippe Ariès, que de protéger ceux qui se battent? L’historien avoue implicitement avoir été influencé par la défense passionnée, dans les lettres de Joseph Czapski, de l’authenticité du combat des nationalistes algériens, parmi lesquels le nationaliste polonais que fut Joseph Czapski n’est jamais très loin de se reconnaître, donnant ainsi plus d’autorité à ce qu’il écrit: «[…] en vous lisant, écrit Philippe Ariès, je sentais le reflet d’autres indignations qui ont dû vous toucher. Ce que je sens de l’officier français, d’autres le sentent de l’Algérien. Je ne pense pas que les deux sensibilités soient ennemies.»70 Philippe Ariès est capable d’être touché par une sensibilité qui lui est étrangère, surtout si l’injustice s’en mêle.

24Ainsi, en1964, envoya-t-il une lettre à Pierre Vidal-Naquet, à l’occasion de la mort de son jeune frère qui suscite chez l’universitaire une lettre chargée d’émotion dans laquelle il estime que Philippe Ariès a tort de se croire séparé de lui par une telle distance. Pierre Vidal-Naquet dit avoir été «touché au vif», par un article du collaborateur de la Nation française, au moment où des sympathisants de l’OAS subissaient à leur tour la torture: «[…] il (l’article) manifestait à l’occasion du présent une sorte de retour sur le passé, et une dilection devant tant de souffrances dont vous mesuriez l’ampleur»71. Le défenseur de Maurice Audin fait allusion à un article, du 25 avril 1962, intitulé «Pour la trêve de Dieu»72 où, dans le contexte des accords d’Évian, Philippe Ariès refusait de cautionner une spirale de la violence de part et d’autre, aussi bien du côté de l’OAS que du FLN. L’approche de Philippe Ariès, dont il dit aujourd’hui avoir apprécié en général le ton et le style des articles à la Nation française73, a donc suscité une réaction chez Pierre Vidal-Naquet: «[…] le souvenir de votre geste ne m’était pas étranger lorsque je me suis senti dans l’obligation plusieurs mois après de dire ce que je pensais du sort fait aux harkis.»74 L’historien de l’Antiquité conclut que, par delà tout ce qui effectivement les oppose, il a senti avec Philippe Ariès ʺune communauté de sentiment, peut-être celle de deux historiens qui s’efforcent d’être honnêtes avec eux-même»75, même si pour l’auteur de La Raison d’Etat, il n’est pas question de parler d’influence76. Pierre Vidal-Naquet a sans doute contribué, avec le combat inlassable mené par Joseph Czapski, à faire évoluer Philippe Ariès sur le chapitre de la torture et à lui faire prendre conscience de sa singularité, qu’il ne mit pourtant jamais en avant ni à la Nation française ni plus tard dans Un Historien du dimanche (1980).

25Des «aventures de la Nation française», pour reprendre l’expression utilisée dans un Historien du dimanche77, Philippe Ariès regrette les rancunes de la guerre d’Algérie qui ont dispersé la «communauté de groupe, la «bande»», cette société de pensée à laquelle il aspirait: «Le résultat est qu’une place est restée vide à droite, la nôtre — en face d’autres écoles de droite qui nous sont tout à fait étrangères et qui gagnent aujourd’hui du terrain. C’est dommage.»78

26Profondément anti-étatiste, Philippe Ariès a soutenu en désespoir de cause le général de Gaulle. L’échec de la Nation française et de l’amitié qui le laisse, écrit-il, «parmi les débris de ma jeunesse et les rancœurs de l’âge mûr»79, consacre sans doute sa véritable rupture avec l’Action française, dont on peut dire alors que le cordon ombilical est coupé. Définitivement dégoûté par la politique, il se consacre désormais uniquement à l’histoire qui reste, à ses yeux, le seul moyen d’approfondir cette notion d’héritage maurrassien, loin des querelles de chapelles et de systèmes. Il ne rejoint aucune banlieue gaulliste à la différence de son ami Pierre Boutang, pas plus qu’il ne retourne à Aspects de la France. Après un échec à l’Académie des Sciences morales et Politiques où il tenta sa chance au sortir de la Nation Française en1966, le mouvement de mai 1968 donna une actualité nouvelle à son ouvrage L’Enfant et la Vie familiale sous l’Ancien Régime passé presque inaperçu en1960. Par le biais d’un de ces chassés-croisés, si bien analysés par Guy Rossi-Landi80, un certain nombre de thèmes de son œuvre intéressèrent, dans ce contexte de remise en cause des institutions, des historiens qui, jusqu’alors, n’avaient pas remarqué ses ouvrages.

Chapitre XIII : Philippe Ariès, une démarche atypique à la Nation française ? (2024)

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